Pendant le confinement et l’été qui a suivi, Tanguy Habrand a observé minutieusement le comportement de l’industrie du livre, relativement bloquée, et les stratégies économiques qu’elle a dû inventer. C’est une synthèse de ses analyses qu’il publie aujourd’hui, dans l’ouvrage intitulé Le livre au temps du confinement, dont l’objectif est d’appréhender les mythologies du livre mises à mal par la crise.

Écrit au jour le jour entre le mois de mars et le mois d’août, Le Livre au temps du confinement s’intéresse aux conséquences de la crise sanitaire sur l’industrie du livre dans une perspective internationale, confrontant principalement la situation du livre en France, en Belgique et aux États-Unis. Il étudie ainsi les discours produits et les différentes stratégies mises en place par le secteur pendant la crise. Il montre comment la chaîne du livre s’est adaptée au confinement, comment elle s’est reconfigurée et parfois même déplacée.

Cette analyse fait émerger un paradoxe entre la mise à l’arrêt des activités liées au livre, de l’éditeur au libraire, et une activité intense menée en interne ou dans les colonnes de la presse. Les règles particulières du confinement ont en effet joué un rôle d’analyseur de la chaîne du livre, sous l’action duquel les professionnels ont été amenés à se dévoiler. Un phénomène extrêmement rare qui est à l’origine de tensions et de contradictions productrices de sens.

Parmi celles-ci, le débat sur le caractère dit essentiel du livre, qui ne figurait pas dans la liste des produits de première nécessité établie par les pouvoirs publics. On pourrait citer dans la même veine le cas de la vente en ligne, qui a fait couler beaucoup d’encre en raison de la fermeture provisoire d’Amazon, ou celui de l’économie du livre numérique – que certains ont présenté comme le grand gagnant de la crise, mais dont la hausse des ventes reste bien peu significative en regard du contexte et de la situation des autres médias.

Observant de près les stratégies des libraires et des éditeurs, Tanguy Habrand brosse une série de portraits contrastés. On voit ainsi des libraires résistants tenant coûte que coûte à continuer à vendre des livres par sens politique, à côté d’autres, considérant au contraire que c’est dans la fermeture que réside le civisme. D’importants développements sont consacrés à la saturation de la filière et aux promesses des éditeurs de diminuer le nombre de parutions. Promesses qui se sont en réalité soldées par l’introduction de nouveaux livres « covid » (en sciences humaines, en développement personnel, ou même en cuisine), par une rentrée littéraire aussi fournie que les années précédentes, ou encore par une intensification de la logique de best-sellerisation au nom de la publication de « valeurs sûres ».

À contre-courant de ces logiques commerciales, l’essai répertorie un grand nombre de déclarations et de tribunes d’éditeurs indépendants qui semblent témoigner d’un tournant éthique de la profession. Ces prises de position en appellent en effet à une réforme des relations existant entre auteur et éditeur, entre éditeur et libraire, une réforme des conditions de travail ou encore des conditions de production des livres.

Le principal biais à déplorer dans les discours pendant la crise est le tout à l’économie. L’auteur constate que les débats officiels sont restés tout au long du confinement sous l’emprise d'une logique de marché et de consommation. Victimes collatérales de ce biais, les bibliothèques, publiques ou scientifiques, ont été ignorées la plupart du temps, alors qu’elles ont déployé des trésors d’ingéniosité pour rendre accessibles leurs ouvrages imprimés ou numérisés.

Au total, par-delà les plans de relance décrétés dans l’urgence afin de venir en aide au secteur de l’édition, Tanguy Habrand en appelle au retour d'une politique du livre complète, durable, attachée à la notion de service public. Il met en évidence des pistes pour une chaîne du livre plus éthique et solidaire.  Les propositions formulées par les acteurs pendant le confinement, dans lesquelles on a pu voir des utopies irréalistes et de fausses promesses, gagneront à se trouver examinées sous un nouveau jour, pour repenser l’économie du livre.

 L'auteur

Tanguy Habrand est chercheur au Centre d’Étude du Livre contemporain de l'Université de Liège. Ses principales recherches portent sur l’histoire sociale de l’édition, la socio-économie des circuits du livre et le développement numérique de la chaîne du livre. Il est aussi responsable de la collection Espace Nord aux Impressions Nouvelles.

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